Quand on voit de près le quatre-mâts barque PASSAT, fièrement à quai à Travemünde (Allemagne), comment ne pas penser à celui qui fut longtemps son compagnon sur tous les océans du monde, à savoir le PAMIR qui, lui, a malheureusement eu un destin tragique… un certain 21 septembre 1957.
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PAMIR, d’après les photos originales
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du musée de l’Eglise Saint Jacques de Lübeck
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Comme le PASSAT, le voilier de commerce PAMIR appartenait à la série des P-liners de l’armement allemand Reederei F. Laeisz, lors de sa construction en 1905. Egalement affecté au transport des nitrates chiliens, il assura huit voyages entre Valparaíso ou Iquique et Hambourg jusqu’en 1914. Pendant toute la période de la Première Guerre mondiale, il resta désarmé aux Canaries, après quoi il fut donné à l’Italie en dommages de guerre. Le gouvernement italien le revendit en 1924 à son ancien propriétaire, F. Laeisz, et le PAMIR reprit ses rotations sur l’Amérique du Sud… jusqu’en 1931, date à laquelle il fut racheté par l’armement finlandais Erikson qui le dédia, comme le PASSAT, à la ligne vers l’Australie, ligne qu’il assura pendant huit ans pour le transport du blé australien.
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Réquisitionné par les Britanniques au début de la Seconde Guerre mondiale, il fut d’abord utilisé comme transport de marchandises, puis affecté à l’Ecole Navale néo-zélandaise. Il échappa aux U-Boote durant ses six voyages océaniques. A la fin du conflit, il fut rendu à son propriétaire Erikson, mais celui-ci ne pouvait plus le faire naviguer de façon rentable. Le navire allait donc être démoli, ce qui émut profondément l’opinion publique allemande. Comme le PASSAT, il fut racheté par l’armateur allemand H. Schliewen (Lübeck), motorisé (moteur auxilaire de 900 ch) et affecté à la ligne Europe – Amérique du Sud. Arborant fièrement le pavillon allemand, il quitta Hambourg, son port d’attache, le 10 janvier 1952, pour faire route vers Rio de Janeiro. Il ne fit que deux voyages car, au retour du second, en 1952, son armateur se trouva aux prises avec des créanciers et le PAMIR fut immobilisé à quai, de même d’ailleurs que le PASSAT. Les deux voiliers restèrent ainsi au “quai de l’oubli” jusqu’à la création, en 1955, de la Fondation Pamir & Passat regroupant une quarantaine d’armateurs allemands. Remis en état, les deux navires reprirent en 1956 leurs rotations de conserve vers l’Argentine (à la fois comme navires de commerce et comme navires-écoles pour l’armement Zerssen et Cie). Les deux navires quittèrent Hambourg le 1er juin 1957. C’était, pour le PAMIR, le sixième voyage vers Buenos Aires, ce sera hélas le dernier.
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PAMIR – Indicatif d’appel DKEF – Coque métallique (tôles rivetées de 16 mm d’épaisseur) – Longueur 115,00 m (longueur hors tout) – Largeur 14,09 m – Tirant d’eau 7,20 m – Jauge brute 3 103 tx – Port en lourd 4 000 t – Surface de voilure : 3 800 m2 – Constr. 1905 (Chantier Blohm & Voss, Hambourg, Allemagne) – Pav. DEU. |
Naufrage du PAMIR — Rappel des faits
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Début septembre 1957. Le PAMIR chargea à Buenos Aires 3 780 t d’orge destinées à Hambourg. L’orge en vrac (90 % de la cargaison) fut réparti dans les six cales du navire . Les 10 % restants, en sacs, furent posés au-dessus de l’orge en vrac pour le stabiliser et minimiser l’effet éventuel de “carène liquide” en cas de fort roulis causé par du mauvais temps. Le capitaine Hermann Eggers (ci-contre), qui le commandait habituellement (déjà cinq voyages effectués) se fit exceptionnellement remplacer car il était souffrant. C’est un autre capitaine très expérimenté, le Commandant Johannes Diebitsch (ci-dessous), qui le releva pour ce nouveau voyage. L’équipage complet comprenait 86 membres dont 52 cadets (le navire commercial était en même temps navire-école pour les futurs officiers de la Marine marchande allemande).
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Sur les 34 marins brevetés, 20 connaissaient parfaitement le voilier pour y avoir déjà effectué plusieurs voyages. La qualité de l’équipage, un instant mise en doute au lendemain du naufrage par certains médias ne semble pas devoir être retenue. Ce serait plutôt un phénomène météorologique inattendu qui a abouti à ce drame. Une polémique s’engagea également à propos du chargement : les ballasts auraient été remplis de céréales pour augmenter la capacité de chargement, ce qui aurait évidemment empêché de ballaster pour compenser la gite après le ripage de la cargaison lors de la tempête. La littérature n’est pas unanime sur ce sujet, je ne trancherai donc pas. De même, le nom de l’ouragan fatal est tantôt Carrie (comme sur la carte ci-dessous), tantôt Currie.L’orthographe incertaine de cet ouragan ne changera malheureusement rien au drame du 21 septembre 1957.
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Les trois premières semaines de navigation se déroulèrent sans aucun problème, mais le 20.09, un bulletin météo annonça aux officiers du PAMIR un fort ouragan venant des Iles du Cao Vert et se dirigeant vers l’Amérique du Nord. Ce phénomène n’était pas rare dans l’Atlantique à cette époque de l’année. Mais, et c’est sans doute là l’origine du drame, ce fort ouragan ne suivit pas la route habituelle des cyclones, SE-NO, mais obliqua brutalement vers l’Est une fois arrivé au niveau des Bermudes, comme le montre la carte ci-contre. Et, le 21.09, vers 15h (heure de Greenwich), il s’abattit sur le PAMIR encore toutes voiles dehors. La violence du vent (N-NE force 12) et la mer déchaînée ne permirent pas au voilier de réduire sa toile à temps, le mât de misaine se brisa, les voiles se déchirèrent et le voilier devint un ludion à la surface de l’océan, dans des vagues monstrueuses. La cargaison ripa et le voilier gita de plus en plus, menaçant fortement sa stabilité. Dès que le SOS lancé par le PAMIR (« De DKEF stop. Quatre-mâts barque PAMIR dans l’ouragan stop. Position 35° 57 nord et 40° 20 ouest stop. Voilure arrachée stop. 45° de gîte stop. En danger de sombrer. ») fut capté et retransmis par la station radio anglaise Portishead, de nombreux navires se déroutèrent pour se porter au secours du célèbre navire-école en perdition à environ 550 milles au sud-ouest des Açores (La station radio Portishead, ouverte en 1928, fonctionna jusqu’en 2000.).
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Citons les premiers navires arrivés sur les lieux : les cargos américains PRESIDENT TAYLOR et PENN TRADER, le cargo anglais MANCHESTER TRADER, le contre-torpilleur canadien CRUSADER, le pétrolier anglais SAN SILVESTER, le pétrolier norvégien JAGUAR, le cargo allemand NORDSEE, le vapeur anglais TACOMA STAR (de la Blue Star Line), le remorqueur de haute mer néerlandais SWARTE ZEE, etc.
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Les dernières heures passées à bord du PAMIR telles que relatées plus tard par l’un des survivants
« Vers 8h samedi 21 septembre, nous reçûmes le premier avertissement qu’un ouragan couperait notre route deux heures plus tard. On nous donna l’ordre de parer le bâtiment pour la tempête. On envoya tous les hommes dans les hauts. Mais avant qu’ils aient pu commencer à réduire la voilure, l’ouragan s’écrasait sur nous.
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Le Capitaine Diebitsch donna aussitôt l’ordre de carguer les voiles. Mais il était trop tard. Un énorme coup de vent les arracha et brisa le mât de misaine. Dès cet instant, tout se précipita. Cela alla si vite que personne ne saurait dire au juste ce qui arriva. La tempête nous prenait de flanc. La gîte fut d’abord de 30°, puis de 35°, enfin de 40°. L’indicateur de gîte n’en indiquait pas davantage. D’énormes vagues traversaient le pont.
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On appela “Tout le monde sur le pont”. L’équipage passa les gilets de sauvetage. Le navire penchait de plus en plus et tremblait sous la puissance des coups de mer. L’inclinaison du pont était telle que nous ne pouvions plus garder notre équilibre. Impossible de mettre les canots à la mer. Nous nous cramponnions au bastingage à tribord. Le côté bâbord était déjà sous l’eau. Lorsque le bâtiment se retourna, d’un seul coup, nous fûmes précipités à la mer, en tas. Beaucoup d’entre nous se noyèrent immédiatement. Ceux qui en avaient encore la force essayèrent de s’éloigner à la nage. La tempête était d’une telle puissance qu’elle poussait derrière nous le navire chaviré. Nous n’avions qu’une seule pensée : nous en éloigner.
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On ne pouvait s’occuper que de soi. De petits groupes s’accrochaient à des épaves. Nous étions à peu près quinze dans mon groupe. Un canot vide passa. Il nous fallut au moins une heure pour l’atteindre. Nous n’étions plus que dix. Nous nous y cramponnâmes, recouverts sans cesse par les énormes vagues. Ce n’est qu’au prix de longs et douloureux efforts que nous réussîmes à grimper dans l’embarcation à demi-submergée et pleine d’eau. Elle ne flottait encore que grâce à ses caisses à air. »
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Source : “Les grandes catastrophes maritimes”, par Otto Mielke, Denöel, 1958. |
La recherche des survivants |
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Les recherches, coordonnées depuis le navire des garde-côtes américain ABSECON (ci-contre) et soutenues par l’aviation américaine, durèrent 9 jours. Un premier canot de sauvetage du PAMIR, hélas vide, fut récupéré le 22.09 vers 12h par le SAN SILVESTER. Deux autres canots, également vides, furent repérés dans l’après-midi par des avions et récupérés par les navires les plus proches qui se déroutèrent. Toujours aucun survivant retrouvé au soir du 22.09. Le lendemain, le cargo américain SAXON retrouve un canot avec cinq hommes à bord (sur les dix initialement embarqués), épuisés mais vivants (Karl-Otto Dummer 24 ans, le boulanger du bord – Hans-Georg Wirth 19 ans – Folkert Anders 18 ans – Klaus Friedrichs 18 ans – Karl-Heinz Kraaz 17 ans). C’est eux qui apprirent à leurs sauveteurs et au monde entier le naufrage du grand-voilier. Ils indiquèrent également qu’un autre canot avait pu embarquer environ 25 hommes. Les recherches continuèrent et c’est finalement le garde-côtes américain ABSECON qui le retrouva le 24.09.
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ABSECON (WHEC-374) |
Mais il n’y avait plus qu’un seul homme à bord (le cadet Günther Haselbach 20 ans). Ce fut le sixième et dernier membre d’équipage du PAMIR qui fut sauvé. Ce dramatique naufrage venait de faire quatre-vingt victimes, dont cinquante cadets (sur les cinquante-deux embarqués).
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Je n’ignorais évidemment pas la tragique fin du volier-école PAMIR, avec son lourd tribut humain, mais jusqu’à ma récente visite de l’ Eglise Saint Jacques de Lübeck, j’ignorais que l’un de ses canots de sauvetage était conservé dans cette église bâtie au Moyen Age, au moment de l’apogée de la Hanse en Allemagne. Que d’émotion en voyant cette maquette…
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… et surtout ce canot, lui-même endommagé. Sur les six embarcations de sauvetage que comportait le PAMIR, seules cinq furent retrouvées après le naufrage et, comme on l’a dit précédemment, seulement deux avaient des survivants à bord (cinq marins dans l’une sur les dix qui y avaient embarqué et un sur vingt-cinq dans l’autre). Ces six survivants seront les seuls rescapés parmi les quatre-vingt six membres que comptait l’équipage lors de l’appareillage de Buenos Aires.
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La perte du PAMIR, le 21.09.1957, sonnait le glas des grands-voiliers de commerce. Et il fut décidé que, désormais, les voiliers-écoles seraient construits exclusivement pour cet usage, recevraient un lest fixe et devraient répondre à des règles de sécurité drastiques.
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